C'est affreux, mais c'est seulement quand le drame humain s'installe au pied de chez toi que tu le regardes vraiment dans les yeux. C'est comme ça. La crise syrienne, on en parle depuis des mois. Mais c'est seulement depuis quelques semaines que le sort de ces gens m'a sauté à la gueule.
D'abord, il y a eu cette photo. Celle d'un enfant, un petit enfant. Un petit garçon aux cheveux bruns, comme le mien. Un petit garçon aux cheveux bruns, gisant les bras le long du corps, face contre terre, son petit corps léché par les vagues de la Méditerranée.
Quand l'image s'est matérialisée sous mes yeux, sur ma page Facebook, au milieu de ce fil ininterrompu d'infos en tout genre (tiens, Kate Middleton serait encore enceinte... Quoi, Marine Le Pen passerait au second tour en 2017 devant François Hollande?!), quand elle est apparue, cette image, mon coeur s'est gelé. C'était lui, c'était mon Marcel, qui gisait là dans les vagues, sur cette plage turque.
Puis il y a eu ces photos de mon village de vacances, Molivos, et ces routes si familières à mes yeux, soudainement envahies par des centaines de milliers de personnes. Ce village où j'ai vécu les heures les plus heureuses de mon adolescence. Cette route que j'empruntée, en stop à l'arrière d'une camionnette chargée de pastèques, pour me rendre jusqu'à la plage la plus proche, Eftalou.
Eftalou, sa plage de galets, sa source d'eau chaude, sa taverne au bord de l'eau et aujourd'hui, ces dizaines, ces centaines de gilets de sauvetage abandonnés sur le rivage. Ces montagnes de gilets oranges, comme autant de marques tangibles du passage de ces hommes, ces femmes et ces enfants qui affluent chaque jour en provenance de la Turquie, si proche, là, juste de l'autre côté du bras de mer.
Enfin il y a ces familles, ces enfants, ce bébé de quatre mois qui dorment là, quasiment sous mes fenêtres, à la sortie de mon square, celui du toboggan de Marcel, sous des tentes de fortune.
Impossible de détourner le regard. Ils sont là. Sur Facebook. Sur mon île en Grèce. Dans ma ville en France. Dans mon square !
Et là tu fais quoi? Bah déjà tu chiales. Parce que comme dirait ma copine Mai, cette putain de situation, c'est vraiment la chiale. (elle dit pas putain Mai. Elle est plus polie que moi).
Et ensuite? Ensuite, tu donnes de l'argent . Moi je me charge, avec d'autres copains du quartier, de faire partir des couvertures de survie, des tentes et des produits d'hygiène là où ils en ont besoin, là bas, sur mon île.
Pour finir, tu sors de chez toi, tu vas à leur rencontre en bas de chez toi (si si regarde ouvre les yeux, ils sont là. Ils dorment devant ta mairie, dans le collège de ton fils, devant la station où tu prends de l'essence le matin, allez ne détourne pas la tête), et tu vas leur demander de quoi ils ont besoin. Déjà, juste le fait d'aller leur demander si ils ont besoin de quelque chose, c'est bien. Ils savent qu'ils ne sont pas tout seul.
Mais tu peux faire mieux. Tu peux leur offrir un thé, un café, un repas chaud, voir même (soyons fou!) de prendre une douche dans ta salle de bain. Parce qu'un bébé, ça a besoin de se laver. Je le sais, moi j'en ai un de bébé. Toi aussi peut être. Ou alors t'en auras un, un jour. Alors dis toi que ce bébé là, qui dort en bas de chez toi, t'es un peu son papa, t'es un peu sa maman. Et comme tous les bébés avec ses parents, il compte sur toi.